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Pour le moment, la tendance est plutôt vers la stagnation que vers les réformes intempestives et exagérées. Je t’enverrai dans quelques jours deux ou trois articles que j’ai insérés au Journal de l’Instruction Publique et où j’ai touché incidemment cette question. Je ne sais s’ils te parviendront.

Je ne taris pas, ma bonne et aimable sœur, et pourtant la métaphysique est la qui m’appelle. Dans un mois, je serai en plein concours. Je ne puis croire toutefois que toutes les dissertations du monde eussent fait plus de bien à mon âme que cette longue causerie que je viens d’avoir avec toi. La désolante tristesse de tes lettres m’afflige, chère Henriette. Je t’assure que les choses ne sont pas si désespérées que tu penses. Alain, qui certes n’est pas dupe d’une imagination trop vive ou d’un optimisme passionné, m’exprimait la même pensée. « Notre amie, me disait-il, s’exagère peut-être le mal de notre situation, et l’infidélité des rapports qu’elle voit en est sans doute la cause. » C’est pour cela que je te voudrais parmi nous. Ce que tu dis du choléra me désole. Tu reviendras, amie chérie, s’il sévit dans le pays que tu habites ? J’espère que la guerre te le fera devancer. Enfin, si j’ai une pince honnête l’an prochain, qu’auras-tu à dire ? Au nom du ciel, ma fille, aime-moi toujours, et ne me traite pas de communiste. Entends-tu ? Ça me fait bondir. Je suis progressif, comme l’ont été tous nos hommes d’autrefois ; voila tout. Cousin