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muniste, et les bonnes gens en passant à côté de lui remercieront Dieu de leur avoir donné du bon sens préférablement à ce misérable.

Tu sembles supposer, chère amie, que la facilité avec laquelle j’accepte les innovations tient à ce que je n’y ai rien à perdre, et que je peux espérer y gagner. Je reconnais tout le premier, chère amie, que celui qui est enchaîné dans la vie par des liens tenant à la réalité, ne peut pas avoir en révolution l’humeur aussi aventureuse ni aussi chevaleresque, que celui qui n’a pour tout bien que son casque et son bouclier. Celui-ci dit : Omnia mecum porto (tu connais sans doute ce latin-là), avec un stoïcisme admirable. La fortune et la famille rendent toujours un peu plus conservateur. Mais est-ce d’avoir quelque chose qui rend tel ; ou de n’avoir rien du tout qui rend novateur ? La question est délicate et subtile. Elle se réduit a savoir si tout homme naît conservateur ou réformiste, ce qu’il importe assez peu de résoudre. Du reste, ma chère amie, il faut entendre en quel sens je peux avoir à gagner en tout ceci. Ce n’est certes pas au point de vue pécuniaire. L’âge d’or du cumul, des sinécures, etc., est passé. Les traitements baisseront sans doute, et il ne sera guère plus possible de se faire ces fortunes universitaires ou bureaucratiques, dont nous avons vu des exemples. Je le regrette peu : pourvu que nous ayons l’honnête suffisant, avec de quoi donner un peu à la fantaisie, que nous importe ? Tout le somptuaire va évi-