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ne l’aperçoit point encore. Je ne suis point économiste pour discuter les solutions proposées ; j’en sais seulement assez pour juger que pas une n’est praticable dans sa forme actuelle. Là-dessus, je n’ai point d’opinion. Mon erreur, si je me trompe, est purement théorique et spéculative. Je crois que les socialistes préparent de loin la solution, à peu près comme Robespierre préparait les constitutions modernes, mais je suis convaincu qu’ils ne la donnent pas. Quant au communisme, je le regarde non seulement comme une impossibilité, mais comme une folie, ou pour mieux dire comme une création fantastique. Le fait est qu’il n’y a pas en France un seul homme non insensé qui soit communiste, dans le sens vrai du mot. C’est un grand diable de paille que les partis ont élevé pour faire peur aux badauds. Quoi qu’il en soit, je regarde la propriété comme chose tellement essentielle à l’humanité, que je ne conçois même pas sa transformation ; et cette transformation pourtant, je la conçois pour tout le reste, religion, philosophie, morale même, dans une certaine mesure. Au nom du ciel, chère amie, ne fais pas sur ce point injure à mon bon sens ; rien ne me serait plus sensible. Les mots de socialisme et de communisme vont être maintenant exploités, comme l’ont toujours été certains mots-épouvantails, comme l’était autrefois, par exemple, le mot de panthéisme contre la philosophie de l’Université. Quiconque parlera de progrès le plus timidement du monde, sera immédiatement com-