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faud ? En accoptant les améliorations, avons-nous accepté les horreurs qui furent nécessaires pour les conquérir ? C’est la loi des révolutions.

Malheur à qui les fait, heureux qui les hérite !

a dit un illustre poète[1], qui a déjà dû se rappeler ce vers avec amertume. Faut-il reculer et rendre le bien impossible, par crainte des maux transitoires qu’entraîneront les réformes ? ce serait imiter cet empereur byzantin, qui pleurait à l’instant d’une bataille sur les morts qu’elle coûterait. Pleurer est très bien, l’humanité le veut, et certes plus qu’aucun autre je suis porté à écouter en révolution la voix de l’humanité. Mais il ne fuut pas que ces pleurs empêchent d’agir et de marcher en avant.

La question, chère amie, est ici toute théorique, elle se réduit a ces deux termes : 1° L’état social actuel renferme-t-il des abus et des injustices ? 2° Es t-il possible de remédier à ces abus et à ces injustices, sans renverser les conditions nécessaires de la société ? Qui peut nier la première question, chère amie ? Tu sembles supposer que dans la période qui vient de s’écouler, et qui peut-être doit durer encore, il suffisait de vouloir, pour sortir de la boue, lorsqu’on y était né ; tu me cites des exceptions, des hommes doués de facultés supérieures, et qui d’ailleurs n’étaient pas dès l’origine dans cet état complet de dénù-

  1. Lamartine, dans Jocelyn.