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MADEMOISELLE RENAN
chez M. le comte André Zamoyski, Nouveau-Monde, Varsovie, Pologne.


Paris, 30 juillet 1848.

J’ai reçu ta lettre il y a quelques heures, chère amie. Elle me remplit d’une si profonde tristesse, et me suggère tant de réflexions, que je veux immédiatement consacrer à y répondre ma longue après-midi du dimanche, sauf à ne la faire partir que dans quelques jours. Non, excellente sœur, nos opinions ne diffèrent pas autant que tu le penses. Nos principes sont au fond les mêmes ; nous ne nous séparons que sur quelques questions de fait, sur lesquelles il serait bien difficile d’être complètement d’accord à une aussi grande distance. Tu comprends bien, qu’en acceptant la révolution qui s’est accomplie et les tendances nouvelles qu’elle a réveillées, je suis loin de faire l’apologie des hommes et des moyens qui jusqu’ici ont été mis en œuvre. Des barricades et des forçats sont sans doute d’étranges instruments ; mais tu sais bien, chère amie, qu’il ne faut tenir aucun compte dans l’histoire des moyens par lesquels sont conquises les améliorations successives de l’humanité. Ne jouissons-nous pas depuis un demi-siècle des bienfaits désormais incontestés, je pense, d’une première dévolution, qui employa bien d’autres moyens… La proscription, l’écha-