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pour faire un chant comme celui-là ou comme le Chant du Départ, ou une chanson comme celles de Béranger (je veux dire celles où le peuple a été sa muse), on verra… Je le répète, je n’oppose pas une caste à une caste, puisqu’il n’y a pas de ligne de démarcation entre les deux, et que les représentants les plus éminents de l’esprit populaire appartiennent à ce qu’on, appelle la classe bourgeoise, j’oppose un esprit à un esprit, et je cherche celui auquel appartient l’avenir.

Le moment de l’histoire auquel je trouve la plus parfaite analogie avec l’état actuel est le moment ou le christianisme et le paganisme étaient en présence. D’un côté, des hommes simples, grossiers, des hommes du peuple en un mot, parlant en vrais massacres, sans finesse ni respect humain, vilipendés par les gens de bon ton, sans critique, ni études, mais pleins de croyance, d’enthousiasme et d’amour. De l’autre, tous les gens d’esprit, les heureux, les riches, les honnêtes gens, les littérateurs, les poètes officiels, soutenant pour la forme une religion vermoulue à laquelle ils ne croyaient pas, sans foi ni amour. Tu as lu Tacite, te rappelles-tu comme il parle de la race anti-sociale des chrétiens ou des Juifs (car tu sais qu’on les confondait). Tous les gens d’esprit des quatre premiers siècles ne firent-ils pas de même ? Porphyre, Julien, etc. Et pourtant qui a vaincu ? Qui a survécu ? Quel est a nos yeux le plus grand philosophe, de saint Paul ou de Sénèque, le plus grand poète, de saint Jean pu de ces ver-