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immédiate, de te proposer de vivre ensemble, pendant tes années d’attente, avec ce que le père de més élèves me devra au moment de notre séparation !… Une seule chose (et Dieu sait qù’elle ne m’était en rien personnelle), une seule chose, dis-je, mais bien grave, m’a toujours retenue : je ne voulais pas que tu sentisses ta destinée irrévocablement fixée à la mienne ; je désirais te laisser au fond de l’âme le sentiment qüe j’avais séparément du pain si tu songeais quelque jour à te créer une autre famille. Tu vas te récrier, mon Ernest…, ce n’est pas non plus que je le croie ;… mais enfin je ne voulais pas que par ta vieille sœur quelque obligation te fût imposée. Voilà, mon cher, mon bien cher Ernest, les seuls motifs qui m’ont fait prolonger mon exil, jusqu’à l’heure foudroyante où tout a, une fois encore, changé dans ma vie. Maintenant, je dois rester, mon Ernest, par ce motif toujours, et malheureusement par beaucoup d’autres, parce que ton avenir s’est assombri, parce que celui de notre frère est presque brisé, parce que le fruit de mon travail est à peu près la seule de nos ressources qui ne soit pas anéantie. — ne crois pas tous les bruits des journaux, mon ami ; je ne suis nullement inquiétée. Relativement à nos compatriotes, je n’ai entendu parler que d’un seul ordre, et tu vas voir qu’il ne pouvait nullement m’atteindre. Tout Français arrivé dans cette contrée depuis 1830, devait justifier les motifs qui l’y retenaient ; faire valoir une