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alarmiste, il y a de quoi s’effrayer. Je persiste, chère Henriette, à regarder comme impossible la prolongation de ton séjour dans le pays que tu habites. Le voyage s’effectuerait-il plus facilement en ce moment qu’un peu plus tard ? je reconnais que tu es sur ce point meilleur juge que nous. Je te l’abandonne ; mais au nom du ciel, bonne amie, ne te laisse arrêter par aucune considération dans de pareilles circonstances, et ne laisse pas arriver les choses au point extrême, oh les difficultés seraient peut-être insurmontables. Il est trop tard pour échapper au tremblement de terre, quand on ressent déjà les premières secousses. Ce qui me rassure, excellente amie, c’est que tout cela n’est que du simple bon sens, et que tu le comprends tout aussi bien que moi.

Notre patrie continue à être calme, au moins en apparence. La situation financière et commerciale est seule des plus alarmantes : les capitaux se cachent, et on ne conçoit que trop pourquoi. C’est pourtant là un fort mauvais calcul. L’atteinte à la propriété viendra le jour où le peuple se fâchera décidément de cette mauvaise humeur trop peu dissimulée, et ira chercher sous les verrous l’or qu’on y recèle. La plus grande difficulté vient des promesses imprudemment fuites aux travailleurs, promesses qu’il sera également impossible et de retirer et de réaliser. Le dissentiment de la province et de Paris est fort sensible, mais ne se traduit par aucune hostilité. Les élec-