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nait encore la loi souveraine de l’Europe, notre affection et l’étude ne pourraient-elles pas nous faire soutenir l’obscurité et la retraite ?… J’espère que, grâce au ciel, il n’en faudra pas venir là ; je le demande à Dieu de toutes les forces de mon âme : voir dans l’ombre les admirables qualités de ton esprit serait, ce me semble, le complément de ma triste vie ; mais que n’envisage-t-on pas quand des commotions semblables à celles qui agitent le monde viennent à se faire sentir ?… Je t’écris tristement, mon bien cher Ernest, parce que. Je suis profondément triste. J’aime ardemment notre patrie, et je la vois sur le bord d’un abîme ;... Je ne vivais que dans ton avenir, et je le sens retardé comme toute chose qui ne peut s’établir par la violence… Cependant je ne perds pas tout courage, sois-en bien certain. Je ne puis croire, je ne puis admettre que l’humanité se guide par elle-même, qu’il n’y ait pas une force supérieure qui l’agite et la fait agir. Espérons donc en cette main divine qui nous a été si souvent propice. Si l’histoire de l’univers doit nous faire frissonner, la destinée qui semble dévolue à la France ne peut-elle pas aussi nous donner quelque assurance ?

Je m’oublie à l’exprimer mes tristes impressions, mon Ernest, et je viens me résumer en te disant encore une fois qu’il me semble préférable de ne pas poursuivre dès à présent tes démarches au ministère de l’Instruction publique. Avant la fin de l’année scolaire quelque éclaircie se lais-