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pas fort avancées. Mais c’est là même ce qui m’inspire un si vif besoin de converser avec toi, et de te confier toutes les peines que j’éprouve, comme je l’ai fait, hélas ! trop rarement, pour les courtes joies que j’ai ressenties. Jamais ta pensée, chère Henriette, ne m’a été plus présente que depuis mon retour à cette vie extérieurement si triste, si défleurie, et rendue maintenant si pénible par le contraste de la vie que je viens de quitter.

Mes vacances, chère amie, ont été fort douces et fort agréables. J’ai trouvé dans la famille de notre frère un accueil affectueux et vrai. Leur union, leur prospérité toujours croissante, la vue de leurs jolis enfants ont été pour moi un spectacle vraiment délicieux, et qui me laisse de très chers souvenirs. J’ai aussi retrouvé notre mère telle qu’elle fut toujours. Pas un nuage, pas un retour pénible sur le passé ; tout au contraire, une certaine joie du nouvel ordre de choses, depuis qu’il se colore plus avantageusement. Je pensais toujours qu’il en serait ainsi, chère amie, et que maman oublierait tout, sitôt qu’elle me verrait réussir dans ma nouvelle carrière. Mais la vraie difficulté à mes yeux était d’opérer la transition, et de couvrir à ses yeux les premiers instants, qui devaient avoir dans son esprit de si fâcheuses couleurs. Enfin c’est chose achevée, qu’il n’en soit plus question. — Je ne me suis pas cru obligé dans cette circonstance, chère amie, par la promesse que je t’avais faite relativement aux envois d’argent. Faisant séjour chez maman, il