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Et quand on songe que cette civilisation, vieille au moins de six mille cinq cents ans, n’a pas d’enfance connue, que cet art, dont il reste d’innombrables monuments, n’a pas d’époque archaïque, que l’Égypte de Chéops et du Chéphren est supérieure en un sens à tout ce qui a suivi, on est pris de vertige. On se demande si la race qui a peuplé l’Égypte n’était pas déjà complètement civilisée quand elle entra dans la vallée du Nil, ou si toutes les lois qui président d’ordinaire aux origines ne sont pas ici renversées. À vrai dire, j’incline à croire que tout cela naquit sans beaucoup de tâtonnement. Ce qui est médiocre est ce qu’on trouve tout d’abord. Les statues de « l’ancien empire » sont infiniment supérieures pour le savoir-faire à celles de l’art grec primitif, et cependant l’essai le moins réussi des vieilles écoles grecques a bien plus de valeur aux yeux de l’artiste que ces chefs-d’œuvre d’habileté pratique. Les peintures des tombeaux de Sakkara indiquent moins d’inexpérience que celles de Giotto ; auprès d’aussi fins ouvriers, ce grand homme n’était qu’un maladroit. Et pourtant quelle différence d’avenir ! D’un côté, le réalisme infécond ; de l’autre, l’aspiration invincible vers l’idéal. La Grèce n’a pas reculé parfois devant la représentation des scènes ordinaires de la vie ; témoin cette frise occidentale du Parthénon, où l’on voit les scènes les plus naïves, un homme passant sa tunique, un cheval chassant les mouches qui le piquent. Cela ne porte nulle atteinte à la noblesse du style. Ces Athéniens qui se préparent à la fête, en quelque sorte derrière la coulisse, ont plus de vraie majesté que le mieux drapé des empereurs romains. L’ensemble de la représentation est conçu d’une façon si peu réelle