Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux formes végétales, leur polychromie, partent du même type organique, en opposition avec la raideur du pilier. Les cariatides et les Atlas ou Télamons de la Grèce, de la Sicile, de l’Italie, font penser aux colosses osiriens de l’Égypte ; mais ce qui est bien plus frappant, c’est l’ordre d’architecture égyptienne que Champollion nomma « protodorique », et dont le modèle le plus parfait se voit aux grottes sépulcrales de Beni-Hassan (2 500 ans avant Jésus-Christ). Le galbe général, la cannelure, le chapiteau, l’architrave, les mutules, rappellent tout à fait le dorique grec. Certes ce n’est pas à des monuments aussi secondaires que ceux de Beni-Hassan que les Grecs tirent un emprunt aussi important ; mais l’ordre dont nous parlons eut en Égypte une grande extension. Memphis et Saïs étaient probablement bâties en ce style. Là peut-être les Grecs en virent des spécimens et en comprirent la solide beauté. Sous le rapport du goût, du sentiment de la proportion et de l’harmonie, de la perfection exquise de l’exécution, les Grecs gardent une immense supériorité ; emprunter de la sorte, c’est vraiment créer. Cependant il est certain qu’en ce qui concerne les règles essentielles de l’architecture, ils furent devancés ; à vrai dire, cet art est de telle nature, que, les principes en étant une fois trouvés, on ne les réinvente plus.

Il en fut de même pour l’industrie. J’ai sous les yeux des objets d’albâtre datés de la sixième dynastie. Ce sont des petits chefs-d’œuvre, égalant les meilleurs produits de l’art chinois. Les Grecs atteindront à peine une telle perfection. Ces grands maîtres de l’idéalisme seront des industriels de second ordre. Le génie et l’habileté de main sont choses si diverses !