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est le sarcophage en granit, colossal, sans aucun ornement. La partie conservée du revêtement de la seconde pyramide porte également le cachet d’un art primitif, ne donnant rien à l’ostentation ni à l’apparence, supposant un sérieux parfait, ne trichant ni avec Dieu ni avec les morts. Comparez cela aux grandes constructions de Thèbes, plus modernes de trois mille ans. La différence se voit au premier coup d’œil. Je ne puis vous dire la déception que causent ces temples, d’ailleurs si étonnants, de Thèbes et d’Abydos, quand on en étudie la construction en détail. L’ensemble est des plus grandioses, mais l’exécution est souvent fort médiocre ; il semble qu’on a surtout en vue de fournir un soutien à la peinture décorative : matériaux peu choisis, pierres posées en délit, irrégularité choquante des assises, joints verticaux disposés sans nulle précaution, tous les signes de la négligence et de la précipitation s’y font remarquer. On sent une hâte extrême ; la personnalité du souverain, qui a voulu que l’édifice élevé à sa gloire fût vite fini, perce à chaque instant. Pressé, bâtonné peut-être, l’architecte a assemblé les pierres comme elles lui venaient de la carrière, au jour le jour, sans s’occuper de celles qui lui arriveraient le lendemain, faisant les lits comme il le pouvait, calculant si peu d’avance, qu’à chaque instant il aboutit à des impasses, d’où il sort par des moyens désespérés. Ces édifices, dont l’importance scientifique est de premier ordre, trahissent une époque où l’architecture est déjà un art gâté, c’est-à-dire où la perfection de l’exécution passe pour une chose secondaire, une époque, dis-je, qui bâtit pour l’effet, bâtit à tout prix, sans trêve ni repos, et qui par cela même se résigne à bâtir mal. L’architecte croit