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gation, le, bien-être domestique ne furent jamais portés plus loin. Dans un de ces tombeaux, le mort lui-même prend la parole et raconte sa vie. Comme général, il a fait une campagne dans le Soudan ; il fut en outre chef d’une caravane escortée de quatre cents hommes qui ramena à Keft l’or provenant des mines du Gébel-Atoky[1]. Comme préfet, il mérita les louanges du souverain par sa bonne administration. « Toutes les terres, dit-il, étaient labourées et ensemencées du nord au sud. Rien ne fut volé dans mes ateliers. Jamais petit enfant ne fut affligé, jamais veuve ne fut maltraitée par moi. J’ai donné également à la veuve et à la femme mariée, et je n’ai pas préféré le grand au petit dans les jugements que j’ai rendus. » Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est de voir, dès cette époque reculée, des peuples au type fortement accusé, au nez aquilin, aux gros yeux, à la mine patriarcale, venir avec leurs femmes, leurs enfants, leurs pauvres ustensiles de nomades, leurs instruments de musique, demander au gouverneur égyptien des terres pour les mettre à l’abri de la famine. Voici sans doute les premiers venus pacifiques de la terrible invasion de races nouvelles qui changera, quelques siècles plus tard, la face de l’Asie occidentale et mettra l’Égypte elle-même en désarroi pour cinq cents ans. Ainsi, dès le troisième millénaire avant Jésus-Christ, on entend déjà dans l’histoire égyptienne l’écho des pas des autres grandes races ; mais désormais il faut dire adieu à tout synchronisme. C’est seule, et comme en une planète déserte, que l’Égypte va poursuivre l’énorme tronçon d’his-

  1. Montagnes près de Suez.