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LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT. 523

passer. Il s’y joint une confraternité entre tous ceux qui ont participé en même temps à ces études, à ces discussions. Comme autrefois ceux qui avaient disputé ensemble sur les bottes de paille de la rue du Fouarre, en se rencontrant au bout du monde se serraient la main et disaient : Fuimus simul in Garlandia[1] ; de même toutes les classes libérales d’une société ainsi élevée trouvent dans ce passage en une commune lice quelque chose qui les rapproche et domine toutes les diversités d’opinions. Au contraire, que fera-t-on avec ces universités isolées les unes des autres où l’élève n’entendra qu’une voix ? On fera deux Frances ayant non-seulement des opinions différentes (ceci serait de peu de conséquence), mais des éducations différentes, des gloires différentes, des souvenirs différents. Entre elles, ce n’est pas la discussion que l’on prépare, c’est la séparation ; or la discussion est bonne, car elle oblige chaque opinion à se surveiller, à se préciser ; la séparation est mauvaise, car chacun alors s’enfonce dans son sentiment, sans égard pour la part de vérité que peut renfermer l’avis des autres. Que si l’on songe que, autour de cette Université de Paris, ainsi élargie et rajeunie, existeraient librement, sans en faire partie, le Collège de France, le Muséum, l’École des Chartes, l’École des Hautes Études, tous les établissements de science libre, qui offriraient aux personnes studieuses de merveilleuses incitations, je dis que rien ne serait comparable à ce grand centre intellectuel ; que du monde entier les idées viendraient, comme autrefois, au XIIIe siècle, pour avoir l’honneur d’y faire leurs

  1. Le clos de Garlande (rue Galande).