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JOSEPH-VICTOR LE CLERC. 501

ces belles argumentations. Il y portait un mélange singulier d’agrément et d’austérité, un tact exquis, une manière de louer et de blâmer si fine, si juste, si heureuse, que même ses sévérités les plus vives étaient respectueusement acceptées. De tels actes publics pouvaient durer six heures sans que l’on s’en fatiguât. On sortait de ces brillantes séances vivement excité aux travaux solides ; c’était là pour la jeunesse studieuse la meilleure des écoles.

La fermeté de M. Le Clerc pour maintenir les droits et les libertés du corps enseignant égalait son zèle pour conserver la force des études. Dans le conseil académique de Paris, dans le conseil général de l’instruction publique, ses vues furent toujours sages et libérales. En 1848, sans toucher à la politique ni profiter en rien d’une révolution qu’il n’avait certes pas appelée, il évita l’esprit de réaction, accueillit les espérances du temps. Un jour qu’un de ses confrères à l’Institut s’exprimait sur les questions brûlantes avec beaucoup de violence : « Vous venez de prouver, cher confrère, lui dit-il, qu’on peut être honnête sans être modéré. » Il se montra sympathique aux efforts de quelques jeunes écrivains de l’Université qui, dans un recueil appelé la Liberté de penser, eurent le courage d’exprimer des opinions sincères avec beaucoup de franchise. M. Le Clerc fut peut-être le seul homme chez qui la révolution de 1848 ne laissa aucune trace, qui se retrouva le lendemain ce qu’il avait été la veille. La même chose était arrivée à M. Daunou, lequel sortit des prisons de la Terreur aussi confiant dans les principes qu’il l’était en 1789. Quand vint le triomphe complet de la réaction, M. Le Clerc résista de toute