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488 MÉLANGES D’HISTOIRE.

Rien ne rebutait notre savant confrère ; il ne s’épargnait aucun des travaux qu’il pouvait épargner aux autres. Pour dispenser désormais d’y revenir, il étudia avec autant de soin qu’il eût fait un grand poëme les « fatrasies », joyeusetés et poésies burlesques de tout genre que le moyen âge nous a laissées. « Tout est pur pour les purs, » dit l’Écriture ; on peut dire aussi que tout est sérieux pour l'homme sérieux. Au milieu des amphigouris, coq-à-l'âne, jeux de rimes, grimoires, parodies des offices et vies de saints, M. Le Clerc trouva les origines du Charlemagne héroï-comique, que l’Italie n’a pas inventé ; il rencontra ces jolis « tournois » burlesques, et surtout Audigier, cet incroyable poëme qu’on peut appeler le poëme du laid, où le noble moyen âge semble se tourner lui-même en dérision, et traîner dans la boue ce qu’il adorait ; il signala enfin ce curieux Dit d’aventures, raillerie des poëmes chevaleresques, sorte de Don Quichotte, où les « bourdes » des conteurs d’aventures sont raillées sur un ton qui rappelle tantôt Cervantes, tantôt les plaisantes assurances de véracité de l’Arioste. Pas une des données des littératures modernes, pas une machine poétique, pas un épisode amusant ou émouvant des poëmes romantiques, que notre XIIIe siècle n’ait possédés. Par quelle fatalité a-t-il pu se faire que, avec tant de spirituelles inventions, il n’ait su ni produire un chef-d’œuvre durable, ni se préparer, pour le siècle suivant, des continuateurs français ?

C'est le problème que M. Le Clerc examina sous toutes ses faces dans le discours préliminaire à l’histoire des lettres en France au XIVe siècle. Avec le tome XXIII on avait fini le XIIIe siècle. On allait aborder le XIVe siècle,