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LA PRIMITIVE GRAMMAIRE DE L'INDE.

casuistes. Tout devient symbole et mystère, et il n’est plus loisible à l’antiquité d’avoir parlé simplement. Mais ce raffinement, fatal à la saine interprétation du texte, n’a que de bons effets pour sa conservation. Du moment qu’un livre est envisagé comme le résultat de l’inspiration immédiate de la Divinité, rien de ce qui touche à ce livre ne saurait être indifférent ; les puériles statistiques de la Massore, les supputations de mots et de lettres deviennent des œuvres pies ; chaque syllabe du texte admis comme sacré prend aux yeux du croyant un sens et une valeur.

C’est certainement dans l’Inde que ce curieux phénomène s’est produit avec le plus d’originalité. L’Inde est le pays où le respect du livre sacré a été poussé le plus loin, et où l’idée de révélation a été prise de la manière la plus exagérée. L’absolu est en toute chose la loi du génie indien ; les tendances qui, chez les autres peuples, ont été balancées par des tendances contraires agissent ici avec toute leur énergie première. L’Inde ne fait rien à demi : c’est une humanité très-incomplète, puisque des parties essentielles du développement de la civilisation lui font défaut, mais qui a poussé jusqu’au dernier degré de la sublimité ou de la folie les dons particuliers qui lui furent à l’origine départis.

La nouvelle publication de M. Adolphe Regnier est un de ces livres qui, par leur caractère spécial, ne s’adressent naturellement qu’à un très-petit nombre de lecteurs. Pourquoi ces travaux de grande école, auxquels les sérieuses récompenses de l’estime publique et de la gloire devraient être réservées, sont-ils de jour en jour plus rares ? La mine toujours ouverte de l’histoire de l’esprit