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MÉLANGES D’HISTOIRE.

faits qu’on arrive à regarder comme bien probable, sinon à adopter entièrement, l’opinion de ceux qui voient dans les Védas le plus ancien document qui nous reste de la plus vieille humanité.

Je rappelais tout à l’heure la Massore des Juifs ; c’est qu’en effet l’analogie qu’offre cette œuvre bizarre avec les Pratiçàkhyas est frappante. En général, rien ne se ressemble plus que la manière dont les livres sacrés ont été traités dans les différents pays ; partout c’est l’idolâtrie de la lettre étouffant le culte de l’esprit. Les commentateurs des Védas et de Manou, ceux du Coran, les interprètes juifs et chrétiens de la Bible semblent élevés à une même école. Comme les Védas, bien qu’à un moindre degré, la Bible et le Coran nous sont arrivés sans variantes essentielles ; comme les Védas, la Bible chez les Juifs et le Coran chez les Arabes ont provoqué de vastes travaux de grammaire. Partout enfin le livre sacré a donné naissance à une exégèse patiente, mais faussée dans son principe même, et, au point de vue de la science indépendante, ayant besoin d’être réformée. Qu’on songe, en effet, à combien d’exigences opposées à la libre critique est assujettie l’exégèse orthodoxe. D’abord un auteur inspiré n’a pu parler comme un autre : chaque mot du texte révélé doit cacher un sens profond ; il n’est pas permis à l’écrivain de s’être répété, d’avoir employé une expression inexacte ou faible. Le livre sacré d’ailleurs doit répondre aux besoins sans cesse renaissants de la foi et résoudre une foule de questions auxquelles l’auteur ne pensait pas. Les poétiques songes d’une époque naïve deviennent ainsi le prétexte d’une théologie subtile et sont chargés de fournir un aliment aux disputes des