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dégagée des entraves étroites de l’esprit sémitique. Cela est si vrai, que les juifs et les musulmans n’ont que de l’aversion pour cette religion, sœur de la leur, mais qui, entre les mains d’une autre race, s’est revêtue d’une poésie exquise, d’une délicieuse parure de légendes romantiques. Des âmes fines, sensibles et imaginatives comme l’auteur de l’Imitation, comme les mystiques du moyen âge, comme les saints en général, professaient une religion sortie, en réalité, du génie sémitique, mais transformée de fond en comble par le génie des peuples modernes, surtout des peuples celtes et germains. Cette profondeur de sentimentalité, cette morbidesse en quelque sorte de la religion d’un François d’Assise, d’un Fra Angelico, étaient justement l’opposé du génie sémitique, essentiellement sec et dur.

Quant à l’avenir, Messieurs, j’y vois de plus en plus le triomphe du génie indo-européen. Depuis le xvie siècle, un fait immense, jusque-là indécis, se manifeste avec une frappante énergie : c’est la victoire définitive de l’Europe, c’est l’accomplissement de ce vieux proverbe sémitique :


Que Dieu dilate Japhet,
Qu’il habite dans les tentes de Sem,
Et que Chanaan (Cham ?) soit son esclave.


Jusque-là le sémitisme était maître encore sur sa terre. L’Orient musulman battait l’Occident, avait de meilleures armées et une meilleure politique, lui envoyait des richesses, des connaissances, de la civilisation. Désormais les rôles sont changés. Le génie européen se développe avec une grandeur incomparable ; l’islamisme, au contraire, se décompose lentement ; de nos jours, il s’écroule