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Grecs, transmise jusqu’à nous par les Latins, qui s’enseigne encore dans nos écoles, et qui fournit à chacun de nous les catégories du langage, par conséquent l’élément le plus essentiel de la pensée. C’est Apollonius remanié, éclairci, mais bien peu perfectionné quant à l’ensemble des vues et de la méthode, qui s’est appelé tour à tour Donat, Priscien, Despautère, Port-Royal et, de décadence en décadence, Lhomond ; de même que toutes les logiques qui, jusqu’à nos jours, ont eu la prétention d’apprendre à bien raisonner ne sont au fond que l’Organon d’Aristote, moins l’originalité.

On peut donc soutenir sans exagération que Apollonius a régné en grammaire jusqu’au moment où le génie des Schlegel, des Humboldt, des Bopp, des Grimm, des Burnouf a ouvert à la science du langage une voie toute nouvelle, en créant la méthode comparative, qui embrasse chaque famille de langue comme un ensemble organique et vivant, et substitue les explications historiques aux explications artificielles de l’ancienne philologie. La France, qui en toute chose dépasse si difficilement l’horizon latin, s’est tenue jusqu’ici à la méthode de la vieille école ; elle n’a rien vu en grammaire au delà de Donat. La révolution qui, au commencement de ce siècle, a renouvelé l’étude des langues, révolution comparable à celle qui, dans les sciences physiques a remplacé la doctrine d’Aristote par la science expérimentale des modernes, est encore à peu près non avenue parmi nous ; je n’en veux d’autre preuve que le peu de succès des ouvrages, pleins de mérite cependant, qui ont aspiré à détrôner Lhomond. Nous ne sommes pas un peuple grammairien ; heureusement c’est là un défaut qui nous met