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Félicitons nos voisins de n’avoir point ces entraves, qui pourtant, il faut le dire, leur seraient moins nuisibles qu’à nous. Chez eux, l’école et la science se touchent ; chez nous, tout enseignement supérieur qui, par sa manière, sent encore le collège, est déclaré insupportable ; on croit faire preuve de finesse en se mettant au-dessus de tout ce qui rappelle l’enseignement des classes. Chacun se permet cette petite vanité, et croit prouver par là qu’il a bien dépassé son époque de pédagogie. Croira-t-on que, dans des cérémonies analogues à nos distributions de prix, où les frais d’éloquence nous paraissent de rigueur, les Allemands se bornent à des lectures de dissertations grammaticales du genre le plus sévère et toutes hérissées de mots grecs et latins ? Cela suppose chez nos voisins un goût merveilleux pour les choses sérieuses, et peut-être aussi quelque courage à s’ennuyer bravement, quand cela est de règle. Madame de Staël dit que les Viennois de son temps s’amusaient méthodiquement et pour l’acquit de leur conscience. Peut-être le public de l’Allemagne est-il plus patient, en effet, que le nôtre, quand il s’agit de s’ennuyer cérémonieusement et sur convocation officielle. Bientôt ce sera sur les bords de la Seine un acte méritoire d’assister à une séance de l’Académie des Inscriptions, et cela pourtant sans qu’il y ait de la faute de l’Académie. Notre public est trop difficile ; il exige de l’intérêt et même de l’amusement là où l’instruction devrait suffire ; et, de fait, jusqu’à ce qu’on ait conçu le but élevé et philosophique de la science, tant qu’on n’y verra qu’une curiosité comme une autre, on devra la trouver ennuyeuse et lui faire un reproche de l’ennui qu’elle cause. Jeu pour jeu, pourquoi prendre le moins attrayant ?