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LA PHILOLOGIE DANS L’ANTIQUITÉ. 395

L'union de la philologie et de la philosophie, de l’érudition et de la pensée devrait donc être le caractère de notre époque. Le penseur suppose l’érudit ; et, ne fût-ce qu’en vue de la sévère discipline de l’esprit, je ferais peu de cas du philosophe de nos jours qui n’aurait pas travaillé au moins une fois dans sa vie à éclaircir quelque point spécial de la science. Sans doute, les deux rôles peuvent se séparer, et ce partage même est souvent désirable. Mais il faudrait au moins qu’un commerce intime s’établît entre ces fonctions diverses, que les travaux de l’érudit ne demeurassent plus ensevelis dans la masse des collections savantes, où elles sont comme si elles n’étaient pas, et que le philosophe, d’un autre côté, ne s’obstinât plus à chercher exclusivement au dedans de lui-même les vérités vitales que les sciences du dehors révèlent si libéralement à celui qui les interroge avec intelligence et sagacité.

On pourrait croire qu’en rappelant l’activité intellectuelle à la philologie ou à l’érudition, on constate par là même son épuisement, et qu’on assimile notre temps à ces époques où la littérature, ne pouvant plus produire, devient critique et rétrospective. Ce serait une erreur ; car, outre que les formes littéraires des modernes sont plus vivaces que les formes anciennes, et peuvent offrir plusieurs floraisons consécutives, notre manière d’envisager la philologie est bien plus philosophique et plus féconde que celle de l’antiquité. La philologie n’est pas pour nous ce qu’elle était dans l’école d’Alexandrie, une simple curiosité d’érudit ; c’est une science organisée, ayant un but sérieux et élevé ; c’est la science des produits de l’esprit humain, c’est la condition nécessaire de cette critique