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386 MÉLANGES D'HISTOIRE.

tés. Sans cette opération nécessaire, la langue vulgaire reste toujours ce qu’elle fut à l’origine, un jargon populaire, né de l’incapacité de synthèse et inapplicable aux choses intellectuelles. Non que la synthèse soit pour nous à regretter. L’analyse est quelque chose de plus avancé, et correspond à un état plus scientifique de l’esprit humain. Mais, seule, elle ne saurait rien créer. Habile à décomposer et à mettre à nu les ressorts secrets du langage, elle est impuissante à reconstruire l’ensemble qu’elle a détruit, si elle ne recourt pour cela à l’ancien système, et ne puise dans le commerce avec l’antiquité l’esprit d’ensemble et d’organisation savante. Telle est la loi qu’ont suivie dans leur développement toutes les langues modernes. Or les procédés par lesquels la langue vulgaire s’est élevée à la dignité de langue littéraire sont ceux-là mêmes par lesquels on peut en acquérir la parfaite intelligence. Le modèle de l’éducation philologique est tracé dans chaque pays par l’éducation qu’a subie la langue vulgaire pour arriver à son ennoblissement.

L’utilité historique de l’étude de la langue ancienne ne le cède point à son utilité philologique et littéraire. Le livre sacré pour les nations antiques était le dépositaire de tous les souvenirs nationaux ; chacun devait y recourir pour y trouver sa généalogie, la raison de tous les actes de la vie civile, politique, religieuse. Les langues classiques sont, à beaucoup d’égards, le livre sacré des modernes. Là sont les racines de la nation, ses titres, la raison de ses mots et par conséquent de ses institutions. Sans elle, une foule de choses restent inintelligibles et historiquement inexplicables. Chaque idée moderne est entée sur une tige antique ; tout développement actuel