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L'INSTRUCTION PUBLIQUE EN CHINE. 383

à écrire que par un motif religieux. Les Arméniens, les Géorgiens, les Syriens, les Éthiopiens[1] n’ont guère eu de littérature que depuis le christianisme et sous son influence. Le Tibet n’a connu les lettres que par suite de l’introduction du bouddhisme.

Le même fait se reproduit, avec des modifications profondes, chez les nations occidentales. L’ancien slavon sert de langue liturgique à l’Église russe, et constituait avant Pierre le Grand l’organe unique de la littérature. Les traditions mythologiques de l’Edda sont consignées dans l’ancien nordique, et maintenant encore le grec et le latin servent de langues sacrées et liturgiques à des cultes chrétiens, Mais les langues anciennes étaient destinées chez ces nations à un rôle plus étendu et plus universel. Ce qui est langue sacrée pour les Orientaux, lesquels ne conçoivent la science que sous la forme religieuse, devient langue classique chez les nations européennes. À vrai dire, ces deux rôles ne sont pas distincts : ce sont deux manières, accommodées au génie divers des peuples, d’être la langue des choses de l’esprit ; et ce serait même se tromper que de considérer une de ces deux fonctions comme excluant l’autre. En effet, la langue antique, qui, chez les Occidentaux, est surtout classique, y est quelquefois sacrée, et réciproquement la langue sacrée des Orientaux joue souvent chez ces nations le rôle de classique. En un mot, soit sous forme de langue sacrée, soit sous forme de langue liturgique, soit sous forme de langue classique, qu’elle se réfugie dans les temples ou dans les écoles, ou dans les uns et les autres,

la langue antique, après sa disparition de l’usage vulgaire,

  1. Cf. Ludolfi, Historia œthiopica, I. IV. c. i. init.