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LA SOCIÉTÉ BERBÈRE.

ce qu’il lui prend en impôts et en sujétions militaires.

On peut dire en ce sens que les grands États ont créé la liberté de l’individu. La tribu, la cité, ont été impuissantes pour cela ; car la tribu, la cité, ont trop d’intérêt à ce que l’individu observe les usages traditionnels. Seul aussi le grand État permet la richesse, qui n’est qu’une application de la liberté de l’individu. — Or le grand État peut-il être un résultat de la démocratie ? Peut-il se maintenir avec la démocratie ? Il est permis d’en douter. Le grand État est l’ouvrage de nobles et de dynastes ayant su s’élever au-dessus des préjugés locaux et des coutumes patriarcales des peuplades et des cantons. C’est à leurs royautés que certains pays doivent leur civilisation. Aussi voyons-nous la démocratie moderne incapable de conserver les grands États sortis des royautés du moyen âge. Si le système républicain triomphe en Europe, il est probable que les grandes unités formées par les rois se briseront. Œuvres de dynasties, ces agglomérations périront avec les dynasties. Le peuple voudra des unités plus restreintes ; la province deviendra l’unité politique ; souvent on descendra jusqu’à la commune. La haute culture, la civilisation, courront alors de sérieux dangers, car partout en Europe, excepté en Italie, la haute culture et la civilisation sont venues d’initiatives aristocratiques. Athènes, Florence, les républiques grecques et italiennes, prouveront éternellement que des communes peuvent être des centres brillants, et que même la création originale ne se produit à l’aise qu’en de tels milieux ; mais il est à craindre que, dans ces vastes Scythies parsemées de colonies grecques où nous vivons, le règne de la province et de la commune ne soit la des-