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MÉLANGES D’HISTOIRE.

d’abord qu’une société ait pu vivre dans des conditions aussi simples que celles que nous avons décrites. La société berbère doit sa longévité à sa pauvreté. La race berbère a été la moins favorisée de toutes sous le rapport du sol qui lui est échu. Elle n’y trouva pas de peuplades antérieures pour les réduire en servage. N’ayant pas de serfs, elle n’eut pas de nobles. Exempte en même temps de toute tendance conquérante, elle n’eut pas besoin de chefs militaires[1]. Enfin n’oublions pas que la race berbère remplace ce qui lui manque en fait de garanties politiques par le droit coutumier le plus serré qui fut jamais, par un droit qui laisse aussi peu que possible de liberté à l’individu, qui organise la surveillance sur la vie privée. Ces deux aspects de la vie sociale se font une sorte de compensation. Une nation qui a des mœurs très-étroitement surveillées peut se contenter d’institutions politiques élémentaires ; une nation qui a un grand appareil de force publique, une royauté, une noblesse, peut se permettre une plus grande liberté de mœurs.

À nos yeux, en effet, ces vieux droits coutumiers, dont la législation hébraïque contenue dans le Pentateuque est la forme la plus parfaite, ont ce que nous osons appeler un défaut fondamental, c’est qu’ils sont à la fois un code de lois civiles et un code de morale. La liberté de l’individu nous paraît atteinte et la vertu diminuée, si la loi se mêle de la moralité, de la charité, de la générosité, de l’honneur. La loi défend ce qui est subversif

  1. Les Touaregs, par la tentation qu’ils ont eue de réduire en esclavage des peuplades soudaniennes, sont arrivés à posséder une classe militaire et des serfs.