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LA SOCIÉTÉ BERBÈRE.

affaire de sang. Voici un fait attesté par les honorables auteurs du livre que nous analysons. Parmi les Kabyles des environs du Fort-Napoléon se trouvait, il y a quelques années, un déserteur natif d’Angers. À part un penchant à l’ivrognerie, qu’il satisfaisait dans les cabarets du fort, il avait perdu toutes les habitudes de sa jeunesse, et rien ne le distinguait plus d’un vrai Kabyle. Il avait des enfants qui ne savaient pas un mot de français, se montraient en tout musulmans fanatiques, et n’étaient pas moins hostiles à la domination française que le reste de la population.

À quelques égards, la constitution berbère n’est donc autre chose qu’un type conservé jusqu’à nos jours des vieilles sociétés qui couvrirent le monde avant les royautés administratives, telles que l’Égypte, et les grands empires conquérants, tels que l’Assyrie, la Perse et Rome. Cela suffirait pour en faire un très-curieux monument historique ; mais la constitution berbère possède un trait qui lui assure parmi les lois des peuples conservateurs et traditionnels une place à part. Ce trait, c’est la démocratie. Sans dynastie, sans classe militaire, sans noblesse, la société berbère a duré des siècles. Les populations patriarcales ont d’ordinaire une aristocratie, seule chargée de la tradition et de l’honneur de la tribu. Le Berbère ne connaît pas d’aristocratie héréditaire, et tout porte à croire que c’est là chez lui un système primitif. En dehors des pays révolutionnaires, en effet, nous avons beaucoup d’exemples de tribus qui ont passé de la démocratie au pouvoir de chefs héréditaires et plus ou moins absolus, tandis qu’on n’a pas d’exemple de tribus qui soient arrivées de l’aristocratie à la démocratie. On est surpris