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MÉLANGES D’HISTOIRE.

demander à des combinaisons individuelles un patronage efficace ; or le çof introduit une vénalité effrénée : il conduit à la négation de toute idée de droit et de justice. Pour soutenir un membre du çof, on ment, on porte de faux témoignages, on se parjure. Le çof, de son côté, n’abandonne jamais ses adhérents. Si l’un d’eux meurt pour la cause du çof, celui-ci adopte ses enfants, les nourrit, les entretient aux frais de la coterie. En toute occasion, l’associé est sûr du concours le plus actif de ses coassociés. Lorsqu’une tribu est en proie à la guerre civile, les çof envoient fréquemment des contingents armés pour soutenir leurs sociétaires respectifs. En tout cas, si le sort des armes force un parti à s’expatrier momentanément, il est sûr de trouver chez ses amis un accueil empressé.

Les çof s’étendent d’un village à un village, d’une tribu à une tribu, d’une confédération à une confédération, et même à toute la Kabylie. Cependant ces associations n’ont pas lieu indistinctement entre toutes les tribus ; il y a des groupes en dehors desquels le lien en question ne s’établit pas. D’ailleurs la solidarité dans toute l’étendue d’un groupe n’est pas à beaucoup près aussi complète qu’entre les çof d’une même tribu ou d’un même village. Les fonds nécessaires au çof sont fournis par des cotisations volontaires. Les chefs n’en rendent pas compte ; ce sont de véritables fonds secrets employés à nouer des intrigues, à corrompre des consciences, à préparer des trahisons, à négocier l’assassinat d’un ennemi dangereux. Les chefs du çof deviennent ainsi des espèces de petits souverains assez puissants, et il est singulier que jamais chef de çof n’ait réussi à former tige de royauté.