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Des déloyautés, des manquements aux devoirs du galant homme, des fautes contre l’hospitalité, deviennent dans une telle société des délits punis par l’amende. L’amende, appartenant à la djémâa, est à dessein multipliée. Elle constitue une sorte de reprise exercée par le pauvre sur le riche, et c’est par elle que la société kabyle fait au socialisme la part qu’il est bien difficile à une démocratie de lui refuser.

Cette organisation politique si simple repose, en effet, sur un esprit de solidarité qui dépasse tout ce qu’on a pu constater jusqu’ici dans une société vivante ou ayant vécu. Les institutions d’assistance mutuelle sont, dans la société kabyle, poussées à un point qui nous étonne ; la coutume à cet égard a force de loi et renferme des dispositions pénales contre ceux qui voudraient se soustraire aux obligations de ce que nous appellerions la charité et la générosité. Le pauvre est nourri en partie par la communauté, du fruit des amendes, des distributions gratuites, d’une réserve de la propriété générale, frappée de séquestre en sa faveur. La thimecheret ou « partage de la viande » est une des institutions particulières aux Kabyles. La pauvreté de ces tribus est telle que l’abatage d’une bête y est un acte public, réglé de la façon la plus minutieuse. La plupart des « partages de viandes » se font sur les deniers publics. Ces distributions présentent de bons et de mauvais côtés. « Une partie des amendes frappées par le village y étant affectée, disent MM. Hanoteau et Letourneux, tout le monde est intéressé à la répression des crimes et délits ; mais, d’autre part, les juges qui infligent ces amendes étant les convives qui profitent de la thimecheret, la perspective d’un bon repas