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l’un de l’autre comme deux êtres d’une espèce différente, n’ayant rien de commun dans la manière de penser et de sentir. Mais la marche de l’humanité se fait par la lutte des tendances contraires, par une sorte de polarisation en vertu de laquelle chaque idée a ici-bas ses représentants exclusifs. C’est dans l’ensemble que s’harmonisent toutes les contradictions, et que la paix suprême résulte du choc des éléments en apparence ennemis.

Cela posé, si nous recherchons ce que les peuples sémitiques ont donné à ce grand ensemble organique et vivant qu’on appelle la civilisation, nous trouverons que d’abord, en politique, nous ne leur devons rien du tout. La vie politique est peut-être ce que les peuples indo-européens ont de plus indigène et de plus propre. Ces peuples sont les seuls qui aient connu la liberté, qui aient compris à la fois l’État et l’indépendance de l’individu. Certes, ils sont loin d’avoir toujours également bien concilié ces deux nécessités contraires. Mais jamais chez eux on ne trouve ces grands despotismes unitaires, broyant toute individualité, réduisant l’homme à l’état d’une sorte de fonction abstraite et sans nom, comme on le voit dans l’Égypte, à Babylone, en Chine, dans les despotismes musulmans et tartares. Prenez l’une après l’autre les petites républiques municipales de la Grèce et de l’Italie, la féodalité germanique, les grandes organisations centralisées dont Rome a donné le premier modèle et dont la Révolution française a repris l’idéal, vous y trouverez toujours un vigoureux élément moral, une forte idée du bien public, le sacrifice à un but général. L’individualité à Sparte était peu garantie ; les petites démocraties d’Athènes et de l’Italie du moyen âge