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Au point de vue des sciences historiques[1], cinq choses constituent l’apanage essentiel d’une race, et donnent droit de parler d’elle comme d’une individualité dans l’espèce humaine. Ces cinq documents, qui prouvent qu’une race vit encore de son passé, sont une langue à part, une littérature empreinte d’une physionomie particulière, une religion, une histoire, une civilisation. On peut y joindre, dans certains cas, une écriture propre ; cette condition n’est pourtant pas de rigueur, car de très-grandes races, telles que la race indo-européenne, n’ont jamais eu d’alphabet à elles, et ont emprunté l’écriture des autres peuples. On en peut dire autant de l’art, l’art s’empruntant avec plus de facilité que la langue, la religion et la législation. Si nous demandons à la race berbère quels sont, de ces titres de noblesse, ceux dont elle peut faire la preuve, nous la trouverons à quelques égards assez pauvre ; par d’autres côtés, au contraire, elle pourra le disputer aux races les plus privilégiées. La race berbère, en effet, possède ce que n’ont pas toujours les plus illustres races, une écriture qui n’appartient qu’à elle, écriture singulière, peu employée, connue presque uniquement des femmes, mais dont l’antiquité nous est attestée par le monument bilingue (carthaginois et berbère) de Tugga, et par les inscriptions bilingues (latines et berbères), beaucoup plus nombreuses, des cimetières voisins de La Calle. Grâce aux soins patients et aux efforts successifs de MM. de Saulcy, Reboud, Duveyrier, Faidherbe, Judas, Halévy, Letourneux, ces petits textes ont été recueillis, étudiés, et

  1. Nous laissons à d’autres le soin de parler des caractères physiologiques, anthropologiques, qui, en ce qui concerne la race berbère, ne sont pas moins nettement accusés que les caractères linguistiques.