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des, tantôt soumis, ainsi que nous le voyons pour les Israélites, tantôt maîtres, comme les Hyksos. Abd-el-Kader exposait naguère[1], avec sa remarquable érudition, les traditions des Arabes sur leurs émigrations anté-islamiques en Barbarie. L’émir, comme la plupart des savants de sa religion, n’a pas beaucoup de critique, et je n’accorde, pour ma part, aucune valeur historique à ces récits, qui occupent une grande place chez les historiens musulmans. Ils reposent pourtant sur un fait réel, je veux dire les profondes racines que la race arabe a jetées en Afrique ; on peut dire, en effet, que l’Afrique, et en particulier le Maroc, est de nos jours le sanctuaire de l’esprit arabe et le point du monde où cet esprit semble le moins prêt à céder aux influences de l’étranger.

M. d’Escayrac a été frappé de trouver au fond du Soudan les mœurs, la langue, la religion de l’Arabe conservées avec une merveilleuse pureté, tandis que, partout où la race arabe s’est renfermée dans la vie citadine, elle a bientôt perdu ses qualités essentielles, sa fierté, sa grâce, sa sobre et sévère majesté. Cette race n’a jamais compris la civilisation dans le sens que nous y donnons. La vraie société arabe est celle de la tente et de la tribu, sans aucune institution politique ni judiciaire, sans autre autorité et sans autre garantie que celle du chef de la famille. Les questions d’aristocratie, de démocratie, de féodalité, qui forment le secret de l’histoire de tous les peuples indo-européens, n’ont pas de sens pour les Sémites. L’aristocratie n’ayant pas chez eux une origine militaire, est acceptée sans contradiction et sans la

  1. Lettre au général Daumas, dans la Revue des Deux Mondes, 15 février 1854.