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entendue par cette race d’une manière tort différente de celle que nous imaginons. Le mélange bizarre de sincérité et de mensonge, d’exaltation religieuse et d’égoïsme qui nous frappe dans Mahomet, la facilité avec laquelle les musulmans eux-mêmes avouent que dans plusieurs circonstances le Prophète obéit plutôt à sa passion qu’à son devoir, ne peuvent s’expliquer que par cette espèce de machiavélisme qui rend le sémite indifférent sur le choix des moyens, quand il a pu se persuader que le but qu’il veut atteindre est la volonté de Dieu. Notre manière désintéressée et pour ainsi dire abstraite de juger les choses lui est complètement inconnue.

C’est dans la vie nomade qu’il faut chercher la cause de cette indomptable personnalité, et aussi du sort étrange qui prédestinait l’Afrique à devenir, par le travail continu des siècles, une terre sémitique. N’est-il pas bien remarquable que, tandis qu’en Asie la race arabe ne put dépasser les limites de la Syrie et de l’Irak, en Afrique elle se répandit, comme par une sorte d’infiltration lente, jusqu’à l’Atlantique et jusqu’à la Cafrerie ? C’est que le désert est, à vrai dire, la patrie de l’Arabe. Partout où il trouve un sol convenablement disposé pour le recevoir, il est chez lui, si bien qu’à cette heure les limites de l’Arabie sont à proprement parler les limites du désert.

Une affinité aussi étroite, une prise de possession aussi complète, feraient croire que l’envahissement du continent africain par la race arabe a dû se produire dès une époque reculée, et sans doute bien avant l’islamisme. La race arabe nous apparaît dans la plus haute antiquité répandue sur les deux rivages de la mer Rouge. L’Égypte n’était qu’une étroite vallée, entourée de Sémites noma-