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ne nous apparaît qu’à travers le nuage de la légende ou les fraudes innocentes des traditions apocryphes.

Mais la relique la plus étrange, c’est sans contredit l’Arabie elle-même, identique du temps d’Ibn-Batoutah (et aussi de nos jours) à ce qu’elle était du temps de Mahomet, identique du temps de Mahomet à ce qu’elle était du temps d'Ismaël. On ne songe pas assez à ce singulier pays, effacé de la scène du monde depuis dix siècles et dont la destinée semble être de ne compter dans l’histoire de l’humanité que par de brusques et courtes apparitions, pour rentrer ensuite dans le vaste oubli de ses déserts. On confond l’Arabie dans l’idée d’universelle décadence, qui, depuis la domination des Turcs, embrasse pour nous tout l’Orient. Or l’Arabie n’est vraiment pas responsable de cette irrémédiable faiblesse. N’avons-nous pas vu, de nos jours, le mouvement réformateur des Wahhabis sur le point d’aboutir à un nouvel islam, sans autre prestige que l’éternelle idée de l’Arabie : simplifier Dieu, écarter sans cesse toutes les superfétations qui tendent à s’ajouter à la nudité du culte patriarcal ? Je pense, pour ma part, que l’islamisme a là son dernier et infranchissable boulevard, qu’il finira par où il a commencé, par n’être plus que la religion des Arabes, selon le vrai programme de Mahomet ; mais aussi que nul ne sait ce qui arriverait dans le monde le jour où l’Arabie se lèverait de nouveau au nom de sa foi invincible en la supériorité de sa race et en la religion d’Abraham.