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brûlant ses prisonniers à petit feu ou les faisant déchirer par ses dogues, et cela, non pas, comme l’Inquisition, pour le plus grand bien de leurs âmes, mais uniquement pour les forcer à découvrir leurs trésors !

Ce ne sont là, dira-t-on, que des calomnies trop facilement explicables sous la plume d’un musulman, intéressé à rabaisser le héros chrétien. Mais que dire de cet autre fait, maintenant avéré, que le représentant de l’enthousiasme religieux de l’Espagne, ce Rodrigue devenu un saint dans l’opinion populaire, dont les reliques font des miracles, et dont Philippe II réclama à Rome la canonisation, passa la moitié de sa vie au service des musulmans, en vrai soudard uniquement occupé de la solde à gagner et du pillage à faire ? Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les chroniques latines disaient exactement la même chose, et qu’on ne voulait pas les croire. Impossible, disait-on, que le champion par excellence de l’Espagne chrétienne ait servi les infidèles contre les chrétiens, et qu’un prince musulman ait accordé sa confiance à son plus mortel ennemi. Or voici la plus irrécusable des autorités, un témoin oculaire, qui nous raconte dans les plus grands détails les exploits du Cid sous les drapeaux de l’islam.

« En ce temps-là, Ahmed-Ibn-Houd, roi de Saragosse, héla un chien de Galice, appelé Rodrigue et surnommé le Campeador (que Dieu le mette en pièces !). C’était un homme qui faisait métier d’enchaîner les prisonniers, de raser les forteresses. Les Beni-Houd l’avaient fait sortir de son obscurité, et s’étaient servis de son appui pour exercer leurs violences et exécuter leurs misérables projets. Ils lui avaient livré les plus belles provinces de la