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n’est qu’à demi publié. Heureusement, dans des introductions pleines d’intérêt, et dans un précieux volume de Recherches écrit en français, M. Dozy a permis au public d’apprécier la finesse de sa critique, et de pressentir ce qu’on est en droit d’attendre de son talent si, après avoir largement contribué pour sa part à la publication des documents, il s’applique à nous donner une histoire définitive de l’Espagne musulmane[1]. Quoique la diction de M. Dozy soit loin d’être exempte de ces taches qu’on évite si difficilement en écrivant une langue étrangère, il y a cependant çà et là dans son ouvrage des pages écrites avec un rare bonheur. Cet effort d’un esprit plein de vigueur pour s’exprimer en une langue dont il n’a pas la pleine conscience ou qu’il suppose beaucoup plus flexible qu’elle n’est en réalité, donne même à son style quelque chose d’âpre et de heurté qui pourra bien effrayer les puristes, mais qui ne manque assurément pas d’originalité.

On a reproché à M. Dozy son goût pour la polémique et le ton un peu trop vif de ses réfutations. Nous reconnaissons volontiers que la forme des écrits de M. Dozy s’éloigne sensiblement de notre goût, et que l’auteur, bien que Français d’esprit et de race[2], ne possède pas encore ce tact délicat qui constitue ce qu’on appelle en France l’art de bien écrire. Qu’est-ce que bien écrire, en effet, comme on l’entend parmi nous ? C’est sacrifier sans cesse à la mesure du langage la saillie et souvent la fran-

  1. C’est ce que M. Dozy a fait dans ses quatre volumes intitulés : Histoire des musulmans d’Espagne (Leyde, 1861). M. Dozy a, en outre, publié une nouvelle édition, fort augmentée, de ses Recherches, en deux volumes (Leyde, 1860).
  2. M. Dozy appartient à l’une des familles françaises qui se réfugièrent en Hollande à la suite de la révocation de l’édit de Nantes.