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En ce moment une gazelle passa devant nous, et il s’élança à sa poursuite ; quant à moi, je m’éloignai. Je revins le troisième jour et ne le rencontrai point ; je courus en informer sa famille. On dépêcha l’homme qui avait coutume de lui porter sa nourriture ; il revint en disant que les mets étaient restés intacts. Je me mis alors en route avec ses frères ; nous passâmes une journée et une nuit entières à sa recherche, et nous le trouvâmes, le lendemain matin, étendu mort dans le lit d’un torrent. Ses frères le transportèrent chez eux, et je retournai dans mon pays. »

Comme critique littéraire, Maçoudi a souvent beaucoup de justesse. Ce qui concerne Abou-Temmam, le poëte le plus célèbre du temps avec Bohtori, est plein d’intérêt. Cet homme de talent ne pratiquait pas les devoirs de l’islam. « Abou-Temmam, racontait un de ses amis, vint me trouver pendant mon séjour en Perse et demeura longtemps chez moi. Il me revint de différents côtés qu’il ne faisait pas la prière ; je chargeai donc quelqu’un de le surveiller aux heures canoniques et je trouvai que l’information était exacte. Comme je censurais sévèrement sa conduite, il me répondit : « Crois-tu qu’après être accouru de Bagdad jusque chez toi, après avoir supporté les fatigues de cette longue route, je négligerais quelques génuflexions faciles, si je croyais qu’une récompense est réservée à celui qui les accomplit, et une peine à celui qui les néglige ? » — « Je songeai à le tuer, ajoute le narrateur, et je ne renonçai à ce projet que dans la crainte qu’on n’attribuât le meurtre à un autre motif. » — Une jolie page, citée par Maçoudi, est celle-ci : « Abou-Temmam se distingue par des in-