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à portée de sa vue. » Je les priai de me conduire près de lui ; ils m’indiquèrent un jeune homme de la tribu. « Il a toujours été son ami », me dirent-ils, « et Medjnoun ne se familiarise qu’avec lui seul. » J’allai trouver ce jeune homme et le priai de me servir de guide. « Si vous voulez ses vers », me répondit-il, « je les possède tous, jusqu’à ceux qu’il fit hier ; demain, j’irai le trouver, et, s’il en a improvisé d’autres, je vous les apporterai. » Comme je le priais de vouloir bien m’y conduire, il reprit : « Dès qu’il vous verra, il prendra la fuite ; je crains aussi qu’il ne m’évite désormais, et que ses vers ne soient perdus pour moi. » Mais j’insistai avec tant d’opiniâtreté qu’il ajouta : « Eh bien, allez à sa recherche dans ces solitudes ; quand vous l’apercevrez, approchez-vous doucement de lui ; il cherchera à vous intimider et fera mine de vous lancer ce qu’il aura sous la main ; asseyez-vous sans faire attention à lui ; mais observez-le à la dérobée, et, lorsque vous le trouverez plus calme, tâchez de lui réciter quelque passage de Kaïs, fils de Doreïh ; c’est un poëte qu’il affectionne. » Je me mis en route le jour même, et, dans l’après-midi, je trouvai Medjnoun. Assis sur un monticule, il traçait des lignes sur le sable avec ses doigts. Je m’approchai sans hésitation ; il s’enfuit comme un animal sauvage à la vue de l’homme, et ramassa une des pierres qui étaient sur le sol. Je continuai cependant, à m’avancer, je me plaçai près de lui et demeurai tranquille quelques instants, tant qu’il parut vouloir m’éviter. Quand il vit que je restais, il se calma et se rapprocha en jouant avec ses doigts. Alors je le regardai et lui dis : « Qu’ils sont beaux, ces vers de Kaïs ben-Doreïh :