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massif où Alexandre venait d’être déposé. » Un des docteurs répondit alors au khalife : « Toutes leurs paroles sont dignes d’admiration ; mais la plus belle sentence prononcée parmi les sages convoqués à cette cérémonie fut celle de Diogène, sentence que d’autres attribuent à un sage de l’Inde ; la voici : « Alexandre était hier moins silencieux qu’aujourd’hui ; mais, aujourd’hui, il nous instruit mieux qu’hier. » Watik répandit des larmes abondantes et sanglota avec force ; tous les assistants mêlèrent leurs larmes aux siennes. Puis il se leva brusquement et improvisa ces vers :


« Dans les vicissitudes capricieuses de la destinée, il y a des chutes
et des effondrements.

L’homme était au faîte de sa fortune, et le voilà qui tombe au
fond de l’abîme.

Les jouissances humaines sont éphémères ; la vie de l’homme
n’est qu’un vêtement d’emprunt. »


Un immense ennui, une sorte de mélancolie profonde qui cherche à s’étourdir, se cachaient, en effet, au-dessous de ces enfantillages. Le khalife qui trouvait son divertissement dans un déjeuner champêtre, dans un plat de viande hachée volé à des matelots, dans des pasquinades de rôdeurs de nuit, était, au fond, poursuivi par un invincible dégoût de toutes choses et par la vue claire du néant universel. Il s’y joignait, au moins chez Motéwakkil, le sentiment de la fragilité d’un pouvoir qui ne reposait que sur la fidélité de mercenaires étrangers. Ce khalife passe sa vie à fondre en larmes. Il essaye de la réaction religieuse. Le libre examen et les discussions philosophiques, qui avaient passionné l’opinion sous Watik et sous Motaçem, furent interdits pendant quelque