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lier de plaisir d’imagination que les Mille et une nuits ont fait accepter au monde entier, et qui a répandu autour du khalifat de Bagdad une si brillante auréole de fantaisie, se retrouve dans Maçoudi, non rattaché à une fiction, mais résultant de tableaux historiques. On conçoit quelle importance doivent avoir, pour la critique, de pareils tableaux tracés par un érudit arabe, postérieur seulement d’un siècle à l’époque dont il parle. Les Mille et une nuits, dans leur rédaction dernière, sont d’une médiocre ancienneté. Elles sont l’ouvrage d’un compilateur, homme de goût, qui a su grouper autour d’un centre brillant tous les contes qu’il savait. Quant à la couleur historique, l’auteur n’a rien inventé. L’idéal romanesque du khalifat était vieux de sept ou huit cents ans quand il l’a pris pour fond de ses récits. Le livre de Maçoudi, écrit l’an 332 de l’hégire (944 de J.-C), prouve que l’éblouissement causé par tant de splendeur et de prospérité se produisit chez la génération même qui suivit la disparition de ce rapide météore. Le siècle qui s’écoula de l’avènement d’Almansour à l’assassinat de Motéwakkil (754-861) laissa une impression qui ne s’effaça plus. Les Sassanides étaient bien dépassés. À l’éclat de leur domination, les Abbasides avaient joint un esprit, une finesse, un abandon, une familiarité qui ne s’étaient jamais vus chez les souverains de l’Orient. Des dons que l’esprit arabe n’avait pas encore montrés à ce point se révélèrent ; la conversation devint le plaisir suprême ; les nuances les plus exquises du ton de l’homme du monde furent observées, décrites, analysées ; la théorie de l’art se vit poussée à ses dernières finesses. Les lettrés, pour qui ces règnes glorieux furent un âge d’or, n’eurent plus d’autre