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sibilité où est l’esprit humain de se tenir longtemps dans la limite de la perfection : ce fut une décadence avant la maturité, une sorte de jeunesse flétrie avant d’arriver à un complet développement. Ce qui manqua à l’art de la fin du xive siècle, ce ne fut ni le talent des artistes, ni une aristocratie brillante et spirituelle pour l’encourager ; ce fut un mobile moral élevé, une noble conception de la nature humaine, et ce sentiment du grand et du beau, sans lequel les ouvrages de l’art comme ceux de la littérature ne peuvent arriver à revêtir une forme durable et achevée.

L’art du moyen âge est original, en ce sens qu’il cherche à représenter, en dehors de toute imitation d’un type classique étranger, le beau tel qu’on le concevait alors ; mais que cette conception de la beauté fût très-inférieure, si on la compare à la beauté antique, c’est ce qu’on ne peut nier. Un art complet ne pouvait en sortir. Le premier pas dans la voie du progrès était de renoncer à des conditions désavantageuses pour revenir à celles de l’antiquité ; mais on sent combien l’art moderne tout entier, hors de l’Italie, était dès lors frappé d’infériorité. Ce n’est jamais impunément qu’on renonce à ses pères. Pour fuir la vulgarité, on tombait dans le factice. Un idéal artificiel, une statuaire forcée d’opter entre le convenu ou le laid, une architecture mensongère, voilà les dures lois que trouvèrent devant eux les transfuges qui, tournant le dos au moyen âge, se mirent à copier l’antique. Heureusement la civilisation moderne possède assez de grandes parties qui n’appartiennent qu’à elle seule pour se consoler d’être condamnée, sous le rapport de l’art, à une infériorité