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quoi le goût si élevé du premier style gothique fait-il place au goût plat et bourgeois qui nous blesse si souvent dans les ouvrages du xive et du xve siècle ? Les causes de ce grand fait sont nombreuses, et tiennent à ce qu’il y eut de plus profond dans l’histoire morale et sociale de l’époque qui commence avec l’avènement des Valois.

On ne doit guère alléguer ici les causes politiques. Si la France peut donner pour excuse les circonstances difficiles où elle se trouva engagée, l’Italie peut répondre qu’elle en traversa de bien plus graves. La nationalité française en ce siècle ne courut que des périls ; la nationalité italienne disparut, sans que le génie italien souffrit aucune éclipse. Au milieu d’une société profondément troublée, d’une anarchie sans égale, qui maintenait la terreur en permanence, les œuvres les plus délicates ne cessèrent de se produire, l’art se développa avec une liberté absolue, des villes entières furent possédées de l’émulation des belles choses. Jamais on ne vit par un plus frappant exemple combien les arts qu’on appelle de la paix s’accommodent d’une société agitée, pourvu que cette agitation ait de la grandeur et qu’elle corresponde à des passions élevées.

À y regarder de près, on reconnaît que cette société française, en apparence si menacée, n’était pas au fond dans un état défavorable au développement de l’art. Les malheurs publics pesaient de tout leur poids sur les populations sédentaires des villes et des campagnes ; mais ils n’atteignaient guère la noblesse armée qui menait le train du monde et en faisait tout l’éclat. Pour cette classe de la nation, qui se battait bien plus par plaisir et