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L’album de Villard est le plus curieux miroir de l’état d’esprit où vivait un artiste du temps de saint Louis. Villard était originaire de Honnecourt, village situé entre Cambrai et Vaucelles. C’est un Picard, et il écrit dans le dialecte de la Picardie. Sa vie fut celle d’un artiste du moyen âge, agitée, mobile, toujours nomade. Il voyagea, comme il nous le dit lui-même, « en beaucoup de terres ». On trouve dans son album les églises de son pays natal, Vaucelles et Cambrai, la rosace occidentale de l’église de Chartres, l’église Saint-Étienne de Meaux et la rosace de Lausanne. Sa renommée le fit appeler jusqu’en Hongrie. Au verso du dixième feuillet est une madone avec l’enfant Jésus, auprès de laquelle on lit ce texte : « J’estoie mandes en le lierre de Hongrie qant io le portrais por ço l’amai io miex[1]. » Au quinzième feuillet, on trouve un croquis d’un pavé en mosaïque, avec ces mots : « J’estoie une foi en Hongrie, la u ie mes mains jor, la vi io le pavement d’une glize de si faite manière[2]. » D’ingénieuses recherches ont permis, du reste, de retrouver en Hongrie même les traces du séjour de Villard[3]. Le seul lieu de Hongrie où l’influence de l’architecture française se montre avec évidence est Kaschau. Le plan de l’église de Sainte-Élisabeth à Kaschau est conforme au système du gothique français tel qu’on le voit dans l’église Saint-Yved de Braine et dans l’église Saint-Étienne de Meaux. Villard

  1. « J’étais mandé en la terre de Hongrie quand je la dessinai, parce que je la préférais. »
  2. « J’étais une fois en Hongrie, là où je demeurai maints jours, et j’y vis un pavement d’église fait de cette manière. »
  3. Voyez les Mittheilungen des k. k. Central-Commission zur Erforschung und Erhaltung der Baudenkmale. Vienne, juin 1859 (quatrième année).