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ter, fourmille de gallicismes, de locutions comme celle-ci, par exemple : pisces eo jure — poissons au jus, le pronom jouant déjà le rôle de l’article. Il importe aussi d’observer que les éditions imprimées des auteurs de cette époque qui, comme Grégoire de Tours, ignoraient la grammaire, ne peuvent donner une juste idée du texte primitif. Généralement, en effet, ces éditions ont été faites sur des copies corrigées après la renaissance carlovingienne, ou bien les éditeurs modernes ont envisagé comme fautes de copistes des traits de langue qui étaient bien le fait de l’auteur. M. Bethmann, qui a comparé trois manuscrits de Grégoire de Tours du VIIe siècle, annonce que dans l’édition qu’il prépare il ne subsistera pas une ligne des anciens éditeurs, et que son texte représentera réellement la langue que l’on parlait au VIe et au VIIe siècle.

La révolution qui du latin a tiré le français n’est donc le fait ni des Celtes ni des peuples germaniques ; elle est le fait de l’esprit humain. Depuis l’introduction du latin dans les Gaules, aucun changement brusque n’est survenu dans la langue de ce pays : tout s’est fait par une évolution spontanée, une sorte de végétation et d’épanouissement naturel. Sans doute des influences extérieures qu’on ne saurait nier concoururent au même résultat. Un vieux fonds de mots celtiques, mots humbles, bas, relatifs presque tous à la vie du paysan, ou bien mots obscènes et frappés d’un certain caractère de trivialité, se conserva dans le langage du peuple. La prononciation d’ailleurs, élément si capital dans la transformation des langues, resta bien réellement celtique, en sorte que le français pourrait être défini : du latin prononcé à la