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soit par suite des invasions germaniques, soit par la persistance d’un fonds insignifiant de mots antérieurs à la conquête romaine. L’identité fondamentale de ces trois idiomes, l’analogie des lois qui ont présidé à leur dérivation, le parallélisme exact de leur développement, ce fait si curieux que les éléments barbares (non latins) qui se trouvent dans chacun d’eux sont exactement les mêmes et toujours dans la même proportion, voilà plus qu’il n’en faut pour établir qu’une cause unique prédestinait la France, l’Italie et l’Espagne à parler la même langue. Comment expliquer, par exemple, que le mot chemin (cammino), que l’on dit venir du celtique, se retrouve également en français, en italien, en espagnol ? Comment ces trois pays, si différemment atteints par la conquête et envahis par des branches si diverses de la famille germanique, se seraient-ils rencontrés pour adopter justement les mêmes mots allemands, tels que dérober, rubare (rauben) ; jardin, giardino (Garten) ; auberge, albergo (Herberge), etc. ? N’est-il pas évident que l’introduction de ces mots barbares s’était déjà faite dans la basse latinité, et que Rome demeure la cause dominante de notre langue comme de notre culture intellectuelle et de nos institutions ?

« L’origine du roman, dit très-bien M. du Méril, remonte au premier barbarisme que les Gaulois ajoutèrent à la langue latine. » Il serait mieux peut-être de dire : Au premier effort que fit le peuple pour s’affranchir d’un joug grammatical trop pesant pour lui. Ce serait un paradoxe qui ne manquerait pas de quelque vérité de soutenir que le français est en un sens antérieur au latin, je veux dire au latin réformé sur le mo-