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par jalousie contre Fabia ; selon d’autres, pour sauver son mari, que Vérus, dit-on, voulait faire assassiner. La calomnie ne se croit jamais obligée de se mettre d’accord avec elle-même. Faustine, qui tout à l’heure complotait contre son époux, se fait maintenant empoisonneuse par dévouement conjugal. La mort de Vérus donna lieu à mille suppositions, plus absurdes les unes que les autres[1]. Il faut se rappeler que Rome était une ville d’une extrême immoralité ; tous les mauvais bruits y trouvaient créance. L’imagination des nouvellistes ne rêvait que des crimes ; on ne pouvait admettre qu’une femme fût honnête, ni qu’un homme important mourût de sa belle mort. Ces commérages passaient dans l’histoire, et, même quand ils étaient absurdes, il en restait quelque chose.

Que dire des débauches honteuses dont la voix publique accusa la fille d’Antonin, la femme de Marc-Aurèle ? Ici la calomnie est facile, car la réfutation est impossible. Dans ces récits pourtant, que d’étourderie, que de légèreté ! Le mot sur la restitution de la dot, prêté à Marc-Aurèle, n’a été ni dit ni pensé par cet homme excellent, si dégagé de toute vue intéressée, totalement dénué de ce qu’on appelle de l’esprit. Il n’est pas exact que Marc-Aurèle dût l’empire à son mariage avec Faustine ; il le devait au libre choix d’Adrien. Rappelé un jour par quelque mauvais plaisant[2], le mot en question aura fait fortune dans Rome, et, le lendemain, (ainsi s’écrit l’histoire) aura été répété comme tenu par l’empereur. L’anecdote de l’acteur se livrant en plein théâtre à une allusion injurieuse, bien vite saisie, peut-être créée par le public,

  1. Tillemont, Hist. des Emp., II. p. 360, 361.
  2. Le mot était de Burrhus à Néron. Dion Cassius, LXII, 13.