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lettres « qui auraient pu le forcer de haïr malgré lui[1] », a été généralement interprétée comme un effet de la résolution qu’il avait prise de ne rien voir, pour ne point sortir de son inaltérable douceur. Il y a quelques années, m’occupant de Marc-Aurèle, j’adoptai cette opinion à la suite de l’unanimité des critiques[2]. Quelques jours après, une conversation que j’eus ici même avec l’homme de notre temps qui connaît le mieux l’histoire de l’empire romain, M. Léon Renier, me fit douter si la mauvaise réputation de Faustine n’est pas du nombre de ces injustices qui forment trop souvent le fond de ce que nous croyons savoir du passé.

« Prenez garde, me dit notre savant confrère, à l’insuffisance des historiens de l’époque des Antonins. Accordons (ce qui n’est pas) que tous les auteurs grecs et latins qui ont parlé de Faustine soient d’accord pour la flétrir ; vous savez par quelle étrange destinée le meilleur siècle de l’histoire ne nous est connu que par de très-médiocres récits. À partir du moment où Tacite et Suétone nous manquent, nous n’avons plus que Dion Cassius, misérablement tronqué par Xiphilin, et ces pauvres historiens de l’Histoire Auguste, si mal informés, si crédules, écrivant souvent à une distance de plus d’un siècle des événements, recueillant des anecdotes comme des vérités. Les monuments, les inscriptions, les écrits qui n’ont pas la prétention d’être historiques, sont de bien meilleures sources pour les temps dont il s’agit. Or

  1. Ἵνα μὴ … καὶ ἄκων ἀναγκασθῇ μισῆσαί τινα. (Dion Cassius LXXI, 29.)
  2. Journal des Débats, 8 et 9 juillet 1864.