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l’empire romain. Le problème commença à se poser dès le temps de Marius et de Sylla. Mais Marius n’avait pas assez de capacité politique, Sylla était un conservateur trop obstiné, ou, pour mieux dire, la solution du problème n’était pas encore assez urgente pour que le principat s’établît dès lors. Sylla, sorte de tory aveugle, de doctrinaire sans ambition personnelle, rétablit et renforça la vieille constitution ; il versa des torrents de sang pour une réaction en pure perte. Sa restauration fut éphémère ; lui-même n’y croyait pas ; en tout jeune homme de talent il voyait un futur Marius. En effet, César arrive à la toute-puissance en se prêtant habilement aux vœux du siècle. Dira-t-on qu’en acceptant la dictature perpétuelle il dépassa l’intention de ceux qui l’avaient soutenu jusque-là ? Soit. Mais le voilà assassiné ; l’occasion est belle ; la république, délivrée du tyran, va refleurir. — Il n’en est rien ; le tyran renaît de ses cendres ; tout se groupe autour de ses continuateurs ; une force invincible seconde Octave ; la fortune se déclare pour lui.

Ce fut, direz-vous, un heureux guet-apens. Ce fut le triomphe de l’art militaire et de la politique sur la volonté des citoyens. — Nullement. Comme si, cette fois, l’histoire avait voulu nous donner une leçon claire et sans équivoque, le vainqueur d’Actium était, de l’aveu de tous, un très-faible homme de guerre ; c’était, à beaucoup d’égards, un homme médiocre. M. Beulé le montre admirablement. On ne peut davantage attribuer ses succès à la richesse ; les Octavii étaient assez pauvres. Qu’était-il donc ? Il était neveu de César. Voilà la force qui donna du génie à un homme qui sans cela eût joué le rôle le plus secondaire.