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ces révolutions, de façon à n’avoir en vue que la seule ville de Rome. On s’apitoie sur ce pauvre peuple romain trahi, surpris, enchaîné ; on s’indigne contre les mauvais citoyens qui asservirent leur patrie. Mais qu’on veuille bien considérer le monde, lequel avait aussi le droit de se mêler de ses affaires. Il n’y avait plus, à vrai dire, de peuple romain, et, quant au sénat, il recueillait les conséquences nécessaires de sa politique, ajoutons de ses fautes : son règne sur le monde avait été on ne peut plus tyrannique ; César fut pour les provinces un libérateur. Je ne crois pas aux surprises politiques dont les conséquences sont durables. C’est une théorie commode pour les esprits qui s’arrêtent vite dans la recherche des causes, de ne voir dans l’histoire que deux partis en présence, d’une part le peuple, toujours dupe ou victime ; de l’autre, d’habiles ou violents ambitieux, qui le trompent ou le subjuguent. On oublie que, dans ces coups en apparence subreptices qui changent la forme des États, le peuple est presque toujours complice, qu’il acclame, qu’il remercie le vainqueur, accable d’affronts les nobles qui résistent. Mettons qu’il se borne à laisser faire. Qu’est-ce que cet éternel innocent dont le rôle est de ne jamais savoir se défendre ? Vraiment, prendre la tutelle de ce pauvre mineur, c’est se prêter à l’invitation et comme à la force des choses. — Oui certes, une surprise est possible ; mais, quand la même surprise se reproduit plusieurs fois de suite, quand vingt occasions se présentent au peuple pour réparer la maladresse qu’il a commise, et que le peuple n’en profite pas, ce n’est plus de surprise qu’il faut parler, c’est de fatalité historique.

Voilà bien ce qui eut lieu lors de la fondation de